Soirée de présentation (Maison du Livre - Saint Gilles)

Présentation à la Raffinerie - 8 mai 2009, Communication Pitcho

A l’adresse des pouvoirs publics et de la Ministre sur le manque de visibilité de la culture hip-hop:

Mon envie du faire du rap, d’écrire ou encore de faire partie du monde artistique est venue d’une nécessité profonde d’exister pour et par moi-même. Je voulais me prouver que j’étais capable.
Ma fierté ne vient pas du fait que j’ai reçu tels trophées ou bien encore que certains journaux parlent de moi en utilisant des termes comme « Notre Pitcho » (sous entendu, maintenant que je fais du théâtre avec quelqu’un comme Peter Brook, je suis présentable et que j’ai le droit de faire partie du cercle)
Non, ma fierté vient de tout ces gens que j’ai rencontré au cours de mon parcours. Ces gens inestimables qui ont su m’accompagner pendant des moments de joie ou de difficulté. Nombreux de ces gens ont fait ou font partie du collectif Souterrain.

Pour moi ce livre est un témoignage de notre histoire. Une histoire qui je l’espère sera le point de départ d’autres aventures. Car mon but en y participant (autant que j’ai pu) n’était pas de tirer la couverture sur moi ou sur nous mais plus d’essayer d’inspirer ou d’aider tout ceux qui un jour ou l’autre ont fait le même rêve que nous c’est à dire d’exister a travers ce qu’ils sont et ce qu’ils font.
C’est aussi selon moi un outil de plus pour prouver à ceux qui en doutent encore aujourd’hui, que la culture hip-hop a de la profondeur, qu’elle n’est pas (parce que pour moi elle ne l’a jamais été) l’expression de jeunes adolescents débridés. Elle mérite d’exister à travers les médias officiels au même titre que les autres cultures.
Tout au long de son existence en Belgique francophone (+ de 15 ans) la culture hip-hop a bénéficié de très peu de soutients médiatiques de la part des institutions publiques. Pourtant des demandes et des projets ont été émis, des rencontres et des débats ont eu lieu et à chaque fois on nous a fait attendre.
Attendre quoi ? La mort des autres radios « officielles » comme Pure Fm ou encore Classic 21 pour qu’on puisse prendre leur place ? Mais je crois qu’ils n’ont jamais compris que la culture hip-hop n’existe pas par opposition à un autre style de musique. On ne veut prendre la place de personne mais on veut juste qu’on nous en fasse une.
Le danger d’attendre trop longtemps c’est que le jour ou on nous laissera la place on sera tellement aigri d’avoir attendu si longtemps qu’on le répercutera à la nouvelle génération, qui, elle viendra avec tout autre chose, autres styles, autres mouvements.
Pour terminer je voudrais remercier les gens qui ont l’idée et qui ont réalisé ce livre, je voudrais les remercier pour l’acte, le temps, le sérieux et l’intérêt accordé à notre aventure souterraine.

Pitcho

papier peint de Djam

Djam Le Rif: "Du graff aux zelliges et retour"

Je ne m’attarderai pas longtemps sur la générosité de Djam aka Djamel Oulkadi, de son investissement dans la conception graphique du projet Souterrain, sur sa patience à retoucher la couverture ou sur le temps qu’il a passé à chercher les solutions qui fonctionnent pour présenter les pages logos, flyers, mixtapes, et j’en passe. C’est le boulot du graphiste : Djam sait, je crois, combien il est paradoxal et ingrat parfois, surtout quand le résultat est déjà chez l’imprimeur.

Le grand flash vient donc des « papiers peints ».
Je n’ai pas vu l’exposition au Botanique où, m’a-t-il dit, quelque chose était déjà en train de germer. J’ai donc découvert sans préambule les « papiers peints » que Djam a composés pour le livre, au format. Deux carrés en face à face de motifs tapissants manifestement distincts et pourtant étrangement semblables. Répétition et différence. Une calligraphie surimposée dans le quart inférieur droit du carré de droite déséquilibre l’ensemble.

C’est de là que tout part. De cette calligraphie qui est le produit de la vectorisation informatique d’un graff. Djam en a retracé les contours dans Illustrator : «je voulais des versions vectorisées de mes calligraphies et de mes logos pour pouvoir les agrandir ou les réduire facilement». Et la suite est venue toute seule : symétrie axiale verticale, symétrie axiale horizontale, rotation à 90°, rotation à 45°, réduction proportionnelle… etc. D’opération en opération, de répétition en répétition, le motif d’origine s’enrichit jusqu’à devenir indiscernable en même temps qu’il contamine l’espace et lui transmet une vibration presque musicale, hypnotique comme un caléidoscope.
Le jeu est d’autant plus fascinant qu’à partir d’une même forme «souche» les variations sont innombrables (de là l’air de famille des deux pages dont je parlais tout à l’heure).

Au-delà de l’impact visuel immédiat, ce qui frappe aussi dans ce travail c’est le battle qui semble se jouer entre les mondes de Djam : Les calligraphies Hip-hop dont il part et qui sont souvent les noms des gars du crew… (voir les papiers peints Fouad et DefiJ), des calligraphies issues de son expérience de graffeur et qui pourraient briller entre toutes sur les flancs d’un train ou à la sortie du tunnel du tram, rue du Progrès, au nom du principe que «le niveau, on le place tellement haut qu’après nous, y’a plus rien».
Versus les zelliges – ces carreaux aux motifs géométriques, qui dans l’art islamique ont la caractéristique de ne présenter aucun élément prévalant sur ses voisins -, les carrelages répétés où se déploie la sévérité des formules mathématiques et l’arrête aiguë des règles formelles. Le choix du format du livre se révèle tout à fait adéquat à cet égard.

C’est un peu comme l’intérieur et l’extérieur de certaines maisons schaerbeekoises, bruxelloises, molenbeekoises,… : céramiques « à la Meknès » dedans, graffs et tags dehors. Mais les murs sont poreux puisqu’ils laissent percoler les héritages l’un dans l’autre. Graffs et tags sont habités par la calligraphie arabe qu’elle soit kufique ou cursive quand de l’autre côté les faïences pourraient bientôt porter des noms de rappeurs. On aurait tort de croire la rigueur absente de la Hip-hop, comme on aurait tort d’ignorer les détours que prend la subjectivité pour s’exprimer dans la camisole des contraintes fussent-elles mathématiques.

Pour ma part, j’espère qu’au détours de ses expérimentations graphiques Djam continuera à produire la belle complexité de mariages aussi étranges et prometteurs. Et que les moyens seront là pour nous les faire voir…

Thomas Perissino

Fouad Hachmi: Portait du portraitiste

Fouad Hachmi a peint des portraits distincts des membres d’I am, Africa Bambaata, Massoud, Defi J, Marley et Brown, dernièrement Youssef Chahine, un peu à la manière rapide de Bollywood.
Il est question de lui pour représenter la hip hop en Belgique sur le premier timbre qui serait créé en son honneur.
J’ai écrit que mon attention a été attirée par sa collection de biographies digitalisées de Ben Barka qui présentent toute le même portrait du leader – assassiné avec la complicité active de la France – au format de poche. Mais le motif de fond sur lequel se détache la photo est à chaque fois différent, accentuant ainsi tour à tour des qualités distinctes, et sinon moins saillantes, de la représentation.
Depuis la fin du Moyen âge, le portrait a toujours été, dans l’art occidental, un art de cour ou un rapport de force: lorsque Goya pour sa commande de la voûte représente à la fin du XVIIIe le peuple modeste qui prie dessous plutôt que les habituelles et écrasantes figures de la chrétienté c’est le scandale. N’est pas représenté qui veut !
Fouad Hachmi se jette au feu, il scrute. Ses yeux et ses questions se posent là où il faut. C’est pour ça qu’il ressemble plus à Muntadhar Al Zaïdi lorsqu’il lance sa chaussure qu’à un gentil peintre de commande. À nous comme à George W. Bush d’esquiver le lancer tant il touche au cœur ! De l’Orient, ses racines aussi, Fouad prend exactement ce que sont allés chercher les peintres modernes du XIXe, les fauves, Matisse, Picasso, Max Ernst : le motif. Pour s’affranchir du carcan de la représentation académique, les modernes vont travailler la force énergétique des couleurs, associées à des formes abstraites dans le but de créer des masses d’énergies pures.
Grâce à son don de peintre figuratif classique, Fouad Hachmi bénéficie du respect de la hip hop, laquelle reconnaît principalement deux choses : la technique et l’occupation de l’espace ou plutôt la visibilité dans l’espace public non institutionnel. Ce n’est pas pour autant un peintre académique. Pour le livre consacré à Souterrain, il a associé les couleurs saturées d’un Orient fantasmagorique, des calligraphies, des formes abstraites – respectant en cela l’interdit d’une représentation exacte – aux portraits héroïques conçus par Ramon. Hachmi réalise par là deux désirs : faire rentrer les frères au panthéon et honorer ce savoir ancestral que l’Europe est allé « prendre » (comme d’autre choses) pour enrichir sa peinture qui manquait de dynamisme.
Fouad, et c’est en cela qu’il est un artiste et non pas un simple faiseur (même avec du talent, il y en a pléthore), rappelle qu’il n’y a pas de forme sans fond. Entendons : qu’il n’y a d’images que contextualisées.
Il y a des enjeux immédiats pour Fouad Hachmi, notamment celui d’élargir le champs des références, rendre hommage aux visages familiers de la hip hop. Mais on peut aussi s’attendre à des surprises quant à la manière dont l’artiste voudra élargir l’action… À ce moment-là, comme aujourd’hui, on pourra remercier Fouad comme un artiste qui a mis son monde à disposition.

Marianne Van Leeuw-Koplewicz